❧ [La Description de l’utilité des Lettres] Le II. Chapitre
Par ces propos fondez en raisons telles,
Aux Lettres fault louanges immortelles
Attribuer, et les honorer, pource
Que tous arts sont veine et source.
Or il convient exposer à voz yeux
En quoy estoient d’escrire curieux
Les Anciens, et de quel instrument
Ils escrivoient leurs Lettres proprement ;
Puis vous orrez comme l’Antiquité
Du Parchemin trouva commodité
Et du papier ; et qui l’Imprimerie
A inventé ; et comme Librairie
A eu son cours, et quels conservateurs
De Librarie ont esté amateurs.
Il est certain que ceux qui escrivoyent
Au temps passé, aucun papier n’avoyent :
Fueilles de parme ils avoyent pour escrire,
Dont aujourd’huy encor chascun vient dire
"Fueillets" de livre ; après ils se servirent
D’Escorce d’arbre, et dessus escrivirent,
Et mesmement dessus la tendre escorce
Qu’ils separoient des arbres sans grand force,
Comme Bouleau, le Platan, Fresne, et l’Orme,
Où proprement leurs Lettres prenoient forme,
Car ils usoyent de l’Escorce plus tendre
Qu’entre la noire escorce ils pouvoient prendre,
Et en faisoyent livres subtilement
Conjoincts par eux ingénieusement.
Et pour autant que le Latin language
L’Escorce ainsi appliquée en usage
Nommoit Liber, en durable renom
Les Livres ont de là tiré leur nom,
Bien qu’il soit clair que les Livres perfaicts
De telle Escorce aujourd’huy ne sont faicts.
Puis on trouva inventions utiles
D’escrire en plomb, sur lames fort subtiles,
Puis sur drapeaux de lins licez aussi,
L’on escrivoit en curieux souci ;
Et nous convient entendre qu'en cest age
Ils n'appliquoyent les plumes en usage,
Mais escrivoyent de Cannes seulement,
Comme aucuns font encor présentement ;
Puis on tira de Carte une autre sorte,
Des arbrisseaux que maint Marest apporte
Auprès du Nil ; nommez "papiers" estoient
Ces arbrisseaux qui l’Escorce apportoient,
Dont on faisoit une Carte bien fine,
Collée avec la colle de farine.
Sur ceste Carte alors on escrivoit,
Et pourautant que l’Arbrisseau avoit
Nom de "Papier", nommé "Papier" avons
Ce papier là, sur quoy nous escrivons,
Combien qu’il soit faict de petis drapeaux
De toyle usée, et non point d’arbrisseaux.
Par Marc Varron est faicte mention
Que ceste Carte eut son invention
Premierement du regne d’Alexandre,
Quand il voulut de bastir entreprendre
Alexandrie ; autres ont jugement
Que tel papier estoit certainement
Touvé du temps du Roy Nume et en main
Laissé par luy de son peuple Romain.
Or il est clair que Nume (et je le croy)
Estoit devant Alexandre le Roy.
D’autres plusieurs l’opinion s’escarte
De ceste cy, disans que ceste Carte
Premierement son origine tire
De "Carta", ville assise pres de Tyre,
Et que Dido print de ce nom l’usage
Pour en nommer sa ville de Cartage.
Encor tient on pour choses asseurées
Qu’on escrivoit en tablettes cirées
Au Temps passé, et que les mains subtiles
Avec Poynsons aigus, qu’on nommoit "stiles",
Lors escrivoient ; l’usage encor reçoit
Ce mot de "stile", alors qu’on apperçoit
Bon Escrivain, de luy on viendra dire :
"Cest homme là ha bon stile d’escrire".
Lon temps après cest age, avant qu’avoir
Ce Papier là qu’aujourd’huy on peut voir,
De Parchemin l’on usoit, et dict on
Du Parchemin faict de peaux de Mouton
Ceux de Pergame estre les inventeurs,
Parquoy à ceux nous en sommes debteurs ;
Et pour autant qu’en Latin il s’appelle
Pergamenum, par origine telle
Nous l’appellons "Parchemin" en François.
Le Jugement est plus seur toutesfoys
De Josephus, disant que les Hébrieux
Du Parchemin sont inventeurs plus vieux,
Et que plusieurs Livres, escrits estoyent
Dessus les peaux, que lors ils inventoyent.
Ainsi appert que l’Escriture faicte
En Parchemin, estoit bien plus perfaicte,
Et plus facile, et bien plus asseurée,
Plus excellente, et de longue durée
Que celle là de plus petite force
Que l’on faisoit en fueille ou en Escorce,
Bien que plus tost elle fust par chemin
Pour en user, que n’estoit Parchemin.
Voyla pourquoy du Parchemin l’usage
Ne s’est jamais perdu en aucun age,
Et ne se peut encor perdre jamais ;
Ne le Papier que faire desormais
Un chascun sçait, par moyen si facile,
Que de le perdre il est trop difficile,
Car nous l’avons si copieusement,
Qu’il peut mouvoir l’homme facilement
A concevoir les Lettres et les arts
Plus florissans que du Temps des Césars.
Mais bien que soit l’utilité fort grande
De tout cela, bien plus se recommande
L’art d’imprimer, comme plus délectable
Invention, et la plus proffitable
Que nous puissions avoir sur Terre ronde
Que de tous arts perfaictement abonde.
Car par cest art s’imprime promptement
Ce qu’à escrire on fut si longuement,
En long sejour Escritures limées,
Sont en lumiere, et subit imprimées,
Utilité, qui fut long temps absconse.
Un Alemant qui fut né à Magonce
En a esté le premier inventeur,
Si nous croyons à
Polydore autheur.
Volateran à ce propos s’allie,
Disant cest art porté en Italie
Par
deux Germains, qu’à Romme en premier lieu
Fut imprimé de la Cité de Dieu
L’œuvre tressainct, et de Lactance l’œuvre
Qui des Gentils l’ignorance descueuvre.
Depuis ce Temps, maints hommes vigilans
Ont en cest art esté fort excellans,
Non seulement en Alemagne et France,
Mais Italie, avec grand apparence
De leur Sçavoir, comme
le sçavant Alde,
Frobene aussi, puis
Colinet, et
Bade,
Griphe Alemant, docte entre un million
Exerçant l’art d’imprimer à Lion -
Et autres maints qui dans Paris florissent
A celle fin que Livres ne périssent
Par tant de bons Imprimeurs, qui sont tels
Que nous voyons leurs honneurs immortels.
Par leur travail, tant de Livres perdus
En leur splendeur premiere sont rendus,
Au grand proffit et vray soulas des hommes
Tant excellans, au Regne où nous sommes.
Car, paravant la noble Impression,
Livres estoient pleins de corruption,
Remplis d’erreurs, de fautes, et rature,
Qui procédoyent d’imperfaicte Escriture,
Et si corrects Livres estoient trouvez
Et par l’advis d’homme docte approuvez,
On ne pouvoit universellement
Les recouvrer, comme facilement
Ores on peut recouvrer corrects livres,
Dont noz Espris d’ennuy sont à delivres.
Et toutefoys nous debvons grandement
Les anciens louer, qui noblement
Livres gardoyent, sans aucun bénéfice
D’Impression, dont ils n’avoyent notice.
Croire il convient que Livres et Escrits
Qui ont esté premierement escrits
Estoient en main des Hébrieux, car ainsi
Qu’ils avoyent eu premiers la Lettre, aussi
Un fort grand soing et désir ils avoyent
De conserver tout ce qu’ils escrivoyent.
Or quand Moyse eut escrit dans les tables
Les saincts édicts de la loy proffitables,
Croire il convient que les Hébrieux après,
Livres avoyent, et Librarie exprès
Pour conserver perpétuellement
Ce qui estoit dans le vieil Testament :
C’est asçavoir, les Livres des Prophetes
Qui aujourd’huy à tous sont manifestes.
L’opinion de tous les Grecs explique
Que cil qui feit Librarie publique
Premierement, Phisistrate est nommé,
Le grand Tyrant d’Athenes renommé,
Et que depuis que celluy l’inventa,
L’Athénien peuple fort l’augmenta.
Mais bien plus fort a esté renommée,
Celle qui feit le grand Roy Ptolomée :
De si hault pris sa librarie estoit,
Que, sur toute autre, honeur elle emportoit,
Car en icelle estoit compris (sans doubte)
Vieil Testament, et l’Escriture toute
Des saincts Edicts ; maint autre livre aussi
L’a transporté, par curieux souci
Des Nations de toutes pars du Monde,
Et ceux estoyent de science profonde
Qui en leur garde et leur gouvernement
La Librarie avoyent totalement.
Les uns gardoyent les livres Poëtiques,
Autres gardoyent les œuvres hystoriques,
Semblablement en toute autre Science
La Garde estoit selon l’experience.
La Librarie après tomba aux mains
(Fort noblement) des anciens Romains.
De Cicéron l’eloquence admirable
A obtenu un renom perdurable.
Hortense aussi, orateur renommé,
Par le Senat Romain tant estimé,
A jusq’ici son renom espandu,
Mais le fruict est de ses escrits perdu,
Ce qui nous porte aujourd’huy grand dommage :
C’est pour autant que n’estoit en usage
L’art d’imprimer, art noble et fort exquis,
Dont nous avons tant de proffit acquis.
Jules Cesar, fort magnifiquement,
La Librarie enrichit tellement
Que de son los vit encor la mémoire ;
Mais à Auguste est deue plus grand gloire,
Qui feit chercher Livres de toutes pars
Qui en Egypte adonc estoient espars.
Affin qu’à Romme ils fussent transportez,
Par luy estoyent les doctes supportez,
En leur usant de sa magnificence.
A Romme aussi fut de grand excellence
Ce Mecénas, illustre personnage
Qu’Horace dict né de royal lignage.
En la science il trouvoit grand saveur,
Et aux sçavans portoit telle faveur
Qu’il les mettoit en grand tranquilité
Usant vers eux de Libéralité,
Dont aujourd’huy un bienfacteur on nomme
"Un Mécenas", comme celluy de Romme.
Fin du II. Chapitre